Quand
on aborde un sujet comme les masques, il faut une première mise en garde. Quel que
soit le récit qui va suivre, sachez qu’il est fondé sur beaucoup de mystères,
de nombreux secrets, une panoplie de non-dits et surtout une grande dose
d’incompréhension due à nos esprits occidentaux! Comme l’exprime
Balkissa : « C’est difficile d’expliquer en mots ce que signifient
les masques. »
Mais voici tout de même, pour
camper le sujet, une citation des frères Assane & Ousseni Ouattara,
artistes spécialisés dans la confection de masques :
« En Afrique, les masques
« sortent » lors de cérémonies importantes : cultes des
ancêtres, des morts, rites d’initiation ou fêtes communautaires. Créations
éphémères en feuilles, sculptures de bois ou de métal, ils permettent de
communiquer avec les défunts ou avec des esprits. Ils masquent au sens propre
comme au figuré celui qui les porte, afin de l’aider à personnifier une force
errante, esprit ou dieu. »
La
région de Bobo-Dioulasso est particulièrement reconnue pour ses célébrations
des masques. Notre première expérience est lors de la visite de l’ancien
quartier : Dioulassoba. Notre guide, Boubakar nous explique que les
masques sortent à de rares occasions pour célébrer la mort d’une personne très
âgée de la communauté.
Il nous prévient que ces
masques déambulent dans les rues avec des fouets, et frappent les descendants
de la personne défunte! Quelle surprise quand on aperçoit ces êtres recouverts
de fibres vertes! Une représentation typique de création éphémère. Lorsque l’on
dit « masques », il faut comprendre un costume complet qui couvre de
la tête aux pieds et rend complètement anonyme celui qui le porte! Les masques qui
rôdent dans le vieux quartier passent au côté d’une jeune femme qui porte le
portrait du défunt, elle reçoit de généreux coups de fouet sur sa jupe, qui est
composée de 4 ou 5 épaisseurs de tissu et autres doublures!
Kuinima

Avril
et mai sont les mois des célébrations annuelles des masques : forme de
funérailles collectives, hommage aux défunts, aux ancêtres et, bien entendu,
fête populaire!
Balkissa nous invite dans son quartier pour les masques. L’effervescence est palpable dès notre arrivée; tout le quartier semble se retrouver dans la rue!
Les premiers masques rencontrés
sont parés de fibres rouge vif, mauve, orangé et coiffés de large sculpture en
bois finement taillé. Les groupes formés de 4-5 masques sont suivis par des
dizaines de personnes, voire une centaine. Ici et là ils s’arrêtent quelques
minutes pour danser devant une concession où les habitants ont sorti nattes et
chaises pour assister au « spectacle » de la rue!

Une procession solennelle
composée seulement d’hommes passe devant nous. « Ce sont des griots qui
président les funérailles » nous précise Balkissa. « Retournons à la
maison, mon fils doit arriver avec son groupe qui anime la fête ». Abdoul arrive
en sautant avec ses amis; il porte une hache traditionnelle à la main. Un
masque les suit, s’assoit sur le chef de famille qui lui tend quelques pièces
de Francs CFA et la troupe repart frénétiquement. Toute la journée jusqu’en
soirée et ce, pendant 3 jours, les masques amèneront de la vie dans les rues du
quartier Kuinima, tout en célébrant les morts!
Koumi
Quelques
semaines plus tard, nous sommes en route vers Koumi, un village traditionnel
près de Bobo. « Il doit y avoir une fête au village, il y a trop de monde
sur la route » annonce Aruna, notre guide. Sérafin, son oncle, nous
confirme qu’il y aura des masques aujourd’hui!

Vers midi, nous nous retrouvons
sur la place centrale du village où un grand cercle est tracé de poudre
blanche. Notre banc a beau être accolé au cercle, quand les masque arrivent il
y a au moins 5 rangées de personnes assises devant nous!

« Chaque masque représente
des défunts des différents quartiers du village, divisé entre les nobles, les
agriculteurs, les forgerons et les griots. » Les griots, ou les gardiens
des traditions, sont également responsables de la musique, afin de communiquer
« avec les différentes dimensions du monde » soit : les vivants,
les ancêtres et les esprits. Celui qui s’exprime au tambour est particulièrement
charismatique. Il approche un-à-un les masques assis autour du cercle, il les
amène à danser au centre et, de temps en temps, des jeunes viennent sauter et
réaliser jusqu'à des saltos, au grand bonheur de la foule.
Foule qui se fait nombreuse et
insistante pour voir les prestations! À un certain moment, une vague humaine
déferle sur notre section et les bancs sont renversés! Un masque est arrivé
avec son fouet et s’est mis à menacer les spectateurs en frappant le sol! Après
le tumulte, Jérémie et moi nous frayons un chemin à l’avant-scène. Jérémie sera
pris dans les bras d’un ami à quatre reprises pour éviter un mouvement trop
brusque de la foule…Ça frise la folie… Mais nous sommes au cœur de l’action!
Les derniers masques, qui
arborent des cornes de bélier, font leur entrée. « Ils représentent la
brousse, ce sont les plus importants; sans les agriculteurs, les autres
quartiers ne peuvent exister.» annonce fièrement Sérafin.
Sindou
C’est
à Sindou que j’assiste aux masques de nuit pour la première fois. Notre guide, Sinali
vient me chercher à 1h du matin. « Cette nuit précède les célébrations du
7e jour du décès d’une aînée » m’explique-t-il en route vers un
espace en bordure du village. Quelques centaines de personnes sont présentes.
Certains sont au centre pour danser en ronde derrière les musiciens. On brûle
des gerbes de paille pour éclairer le passage des masques qui entrent et
ressortent à tour de rôle. « Ce sont surtout des masques de chats, qui
peuvent chasser la nuit. Ils chassent les mauvais esprits pour que demain on
puisse célébrer la défunte sans réserve », précise Sinali avant d’ajouter
avec un sourire : « Ici tu ne meurs pas, tu voyages. »
À 2h, il me dépose au camp et
alors que je me glisse dans le lit sans réveiller les enfants, je peux encore
entendre la rumeur des tambours et des chants qui sont pourtant à plus d’un
kilomètre.
Je reviens aux mots des frères
Ouattara : « Chaque masque est comme un livre ouvert qui fascine
d’abord par sa couverture étrange. Poussés par la curiosité, on l’ouvre, on le
décrypte, pour finalement se laisser envoûter au fil des pages. »
Éric et Sophie
